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Aux morts de l'exode

Solange PASCAL, née en 1919

_"Mes parents tenaient une épicerie de village à Gometz-la-Ville, à l'entrée de la Beauce, sur la route de Paris à Chartres. Depuis la fin Mai, tout le monde était inquiet de la tournure des événements. Dans le village, toutes les familles avaient un mari, un fils, un frère au front.
Le vendredi 14 juin 1940 en fin d'après-midi, nous avons vu arriver, venant de Paris, un détachement de l'armée française qui se repliait en bon ordre vers les ponts de la Loire : il était question de prendre position le long du fleuve et de reconstruire une ligne de front.
L'officier a ordonné à mon père d'évacuer immédiatement : "Les Allemands arrivent, ils viennent d'investir Paris ce matin. Vous avez des jeunes filles à la maison, il vaut mieux partir." Quand une maison est officiellement évacuée, sa garde en est confiée à l'armée qui en assure la protection. Mon père, un ancien combattant de la guerre de 14 le savait ; il est donc allé chercher, en toute hâte, une charrette, un cheval, et du fourrage chez les voisins, et nous sommes partis, mes parents et six de leurs dix enfants, sur la route de Janvry, en direction d'Orléans, avec juste un peu d'eau et quelques vivres.

C'était un beau soir d'été. J'étais à bicyclette ainsi que ma soeur Henriette. Nous progressions vers le sud, sur des chemins tranquilles, mais souvent dépourvus de panneaux indicateurs. À chaque carrefour, mon père hésitait sur le chemin à prendre. Il cherchait à éviter à tout prix les agglomérations et les routes pricipales : il avait entendu à la radio que les avions mitraillaient les réfugiés sur les routes.
Vers le soir, nous sommes arrivés à Boissy-le-sec, près d'Etampes, distant d'une trentaine de kilomètres de chez nous. Ma mère a retrouvé là, par hasard, des connaissances de Nozay, son village natal : la tante Marguerite, Marie Nodin, une camarade d'école, ainsi que d'autres petits cultivateurs, qui avaient pris, comme nous, la route de l'exode. Par chance, leur départ avait été moins précipité que le nôtre, et ils avaient eu le temps d'emporter quelques provisions.
Comme le soir tombait, les adultes ont décidé de passer la nuit dans le village. Nous avons tous trouvé refuge dans la cave d'une ferme, que les propriétaires avaient évacuée. C'est là que nous avons mangé et dormi avec nos compagnons d'infortune. Le lendemain matin, samedi 15 juin, les adultes ont décidé de rester sur place et d'attendre : le secteur était calme, nous étions en sécurité et nous avions des provisions pour plusieurs jours. Où aller sinon ?
C'est le lundi 17 juin en début d'après-midi que mes parents ont décidé de rentrer. Ils étaient morts d'inquiétude. Ils avaient peur pour leurs biens, et plus encore pour leurs fils au front dont ils étaient sans nouvelles. À un carrefour, nous sommes tombés sur des soldats allemands. Comme ils disposaient de cartes détaillées du secteur, ce sont eux qui nous ont indiqué la route à suivre !... Nous sommes arrivés à Gometz vers six heures du soir, au moment où une sinistre colonne de prisonniers traversait le village.
J'avais hâte de revoir la maison après ces trois jours d'errance. Je ne me doutais pas de l'état dans lequel nous allions la retrouver. L'horreur ! L'épicerie avait été mise à sac, livrée au pillage pendant trois jours et vandalisée. Tout ce qui n'avait pas pu être volé avait été détruit ou souillé par les réfugiés et les fuyards. Il ne nous restait plus rien : toutes les marchandises avaient disparu. Il a fallu vendre ma bicyclette pour reconstituer une petite partie du stock de l'épicerie. L'exode a été pour moi une expérience terrible. C'était l'été de mes vingt ans ! Je n'ai jamais oublié le choc que j'ai ressenti en voyant saccagée la maison de mes parents, où nous avions été si heureux avant guerre. Ce jour-là, en contemplant le désastre, j'ai senti que les pires horreurs de la guerre étaient à venir. Hélas, je ne me trompais pas !"
   sources :                                                                                                                              Aux morts de l'exode
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