Accueil À Lille Sur le front L'exode Le Stalag Cologne Un crime
Un crime de la Wehrmacht

_"Mon frère René avait trente trois ans en 1944. Avant d'être mobilisé, il travaillait avec Marcelle, sa future épouse, dans une petite épicerie située au 28 rue des écoles, chez M. Loizé, qui avait perdu un œil à la guerre de 14. René avait fait son service militaire à Alger dans une unité du génie, puis la drôle de guerre dans une ferme du côté de Rethel, dans les Ardennes. Il ne gardait pas de mauvais souvenirs de ces mois d'hiver à la frontière, ni de son séjour en Algérie, où il a même songé à s'établir. En juin 40, il a été fait prisonnier à Laval, mais, avec l'aide de sa femme, il a réussi à s'évader, les gardiens étant peu nombreux. Sa femme est venue de Paris avec des vêtements civils, qu'elle a laissés à l'hôtel, où elle était descendue. René a pu sortir du cantonnement en faisant semblant d'aller aux toilettes. Je ne me souviens pas s'ils ont passé la nuit à l'hôtel. Toujours est-il qu'ils ont vécu toute la guerre à Paris. Mon frère s'est associé avec un monsieur qui réparait les machines à coudre. René était chargé de la vente; il était représentant. Ainsi, il se rendait dans les appartements pour vendre les machines. Il en a vendu une à nos parents. Je m'en suis beaucoup servi, vu que j'étais devenue la couturière de notre grande famille, après mon apprentissage. Mes parents m'ont donné cette machine, quand je me suis mariée. En 1942, René et Marcelle ont acheté un appartement à Grenelle, avenue de la Motte-Piquet, en prévision de la naissance de leur premier enfant.
Malheureusement, ils n'ont pas vécu longtemps dans cet appartement : Marcelle et son bébé étaient le plus souvent chez mes parents, à la campagne, car on craignait les bombardements sur la capitale, qui avait déjà été bombardée au début de la guerre. En avril 1944, leur seconde fille est quand même née à Paris. Au plus vite, la mère et les filles étaient de retour à Gometz-la-ville, dans la Beauce, où notre famille tenait une épicerie-buvette; René, quant à lui, venait le vendredi soir et restait jusqu'au dimanche soir. Depuis début août, les combats se rapprochaient de Paris. Les gens avaient peur en voyant aux actualités cinématographiques les villes dévastées de Normandie et de Bretagne. Le vendredi 9 août 1944, René est arrivé vers treize heures par le car qu'il avait pris à la gare d'Orsay, sur la ligne de Sceaux. D'habitude, il ne venait que le soir après le travail. J'entends encore ma mère lui dire mon petit garçon pourquoi tu viens plus tôt. La réponse de René : "J'ai peur pour vous".
Dans l'après-midi, deux Allemands un peu ivres ont demandé du champagne à René qui servait au café. Nous n'avions plus de champagne depuis 1940 : les denrées alimentaires étaient rationnées, le pain était rare, et personne ne songeait à acheter du champagne dans le village. Mon frère n'a donc pas pu les servir et ils sont repartis furieux. Je ne sais s'ils ont bu une autre boisson. Ils étaient à bicyclette et je crois bien qu'ils ont fait faire une réparation à l'atelier.
Vers minuit, nous avons été réveillés par un grand bruit : les deux Allemands venaient de faire sauter avec deux grenades la porte de la maison. Notre père, René et notre frère Lucien, le quatrième de la famille, sont arrivés dans la pièce du rez-de-chaussée. Les Allemands ont de suite blessé mes deux frères en tirant sur eux à bout portant. Un des Allemands ayant été blessé aussi, ils ont quitté assez vite la maison. Ils sont montés dans un des camions se dirigeant vers Paris. Car ils devaient quitter au plus vite la région. Lucien est venu, malgré sa blessure au cou, dans la cave où tout le reste de la famille s'était réfugié. Quant à notre malheureux René, gravement blessé, nous l'avons transporté dans la salle à manger. Nous avons de suite téléphoné au docteur Aymar à Limours, malgré le danger pour faire cinq kilomètres en voiture, en pleine nuit, sur une route encombrée de convois militaires.
Il a pu soigner Lucien. Malheureusement, pour René, vu sa grande blessure à la tête, le docteur Aymar n'a rien pu faire. Je me souviens des derniers mots qu'il a pu prononcer : les prénoms de Marcelle, sa femme et de Claudine leur première fille. Le lundi matin, 12 août 1944, un de nos voisins, Roger Durand, a proposé à mes parents d'emmener René à l'hôpital Salpétrière dans sa voiture. Malheureusement, René est décédé peu de temps après son arrivée à l'hôpital. Sa femme se retrouvait seule avec ses petites, Claudine, vingt-deux mois et Annick, quatre mois. Il repose au cimetière de Gometz-la-Ville dans le caveau de famille."
La même semaine, le samedi 17 août 1944, commençait l'insurrection de Paris, qui devait durer jusqu'au 29, et coûté la vie à deux mille Français et à trois mille Allemands. La ville faillit être réduite en cendres.
   sources :                                                                                                                              À mon oncle mort avant le temps
Accueil À Lille Sur le front L'exode Le Stalag Cologne Un crime

L'aventure humaine

Moteur de Recherche : le meilleur du web

1940 : la France qui tombe

annuaire gratuit

Audience du site